Au sommet de la tour de chair et d’organes, dans la dernière cellule du point le plus haut de ton être ils ont finalement vu le jour : les premiers pas de ton accomplissement souterrain.
C’est d’abord la fenêtre que tu as claqué d’un grand VLAM tu la trouvais trop insolente trop accrochée au ciel comme s’il avait besoin d’elle pour tenir. T’en as eu marre de la fenêtre elle n’était bonne qu’à se fermer puis à s’ouvrir , comme si elle n’avait jamais aspiré à sa véritable fonction qui aurait dû être la brisure, l’éclat, l’explosion. «Les-yeux-les-fenêtres-de-l’âme » mon cul, il était grand temps de faire valser les paupières, des ces yeux fatigués d’être toujours deux, de n’avoir jamais trouvé le troisième tu fais enfin claquer la vitre : VLAM.
Après la fenêtre ce fût le tour des escaliers, au lieu de les dévaler tu aurais voulu enfoncer chaque marche, tu t’es surpris à imaginer la douleur du bois dans la chair lorsque ta jambe aurait pénétré dans ses planches. Une douleur passablement jouissive finalement : ces escaliers n’allaient nulle part. À chaque fois que tu te trouvais à leur pied, au plus bas de ton être, tu n’arrivais jamais à les monter pour arriver ailleurs. A l’inverse, à chaque fois que tu te sentais trop élevé, trop pédant, trop « menton-levé-sourcils-droits », tu n’arrivais à redescendre que par la chute. Jamais ces fichus escaliers n’avaient tenu leur promesse de t’emmener du point haut vers le point bas, et combien de fois t’étais-tu perdu dans le dédales de leurs marches épuisantes ? VLAM, destruction de l’escalier marche après marche, VLAM : dégringolade du sommet de la tour vers son épicentre, VLAM : te voilà dans ton ventre, et ton ventre est une porte.
Pas vraiment une porte à la verticale comme les autres portes, mais plutôt une porte horizontale, comment ça s’appelle déjà ? Une trappe.
Te voilà dans ton ventre et ton ventre est trappe.
Celle-ci est plus difficile à claquer. Elle gargouille et chuchote, son bois est plus dense que celui des marches, plus solide que celui des fenêtres. On ne claque pas comme ça la porte de son ventre, certains n’arrivent même jamais à l’ouvrir. C’est une trappe en chêne massif dont l’épaisseur regorge de secrets, d’asticots intestinaux et de noeuds sombres dans ses marbrures. C’est vrai que cette trappe, tu n’as rien à lui reprocher. Tu apprécies qu’elle te dépasse, tu ne te vois pas l’enfoncer, mais tu l’ouvres. Avec respect et délicatesse, tu ouvres ton ventre et puis tu sautes.
Et puis tu sautes dans le puit de tes jambes. Tu sautes et puis c’est donc un puit, tes jambes. Et puis merde tu ne t’attendais pas à ce que ce soit un puit, tu n’en vois pas le fond, et puis tu te laisses choir le long des jambes, tu arrives dans un puit, voilà que tu arrives enfin à l’extrême horizon, la limite de chair ridicule, le monument célèbre : La voûte plantaire, tu parles. Ça n’a rien d’un arc de triomphe, mais une odeur de terre sombre et crue t’indique que tu as fais le bon chemin, que tu arrives au bon endroit. Tu t’approches de la voûte et tu traverse lentement sa paroi, ta propre paroi, tu traverse le point le plus bas de ton être, après être parti de cette idiote de TÊTE tu enfin réussi l’exploit que ce monde ne valorise absolument jamais : Tu as réussi ta DESCENTE, et cessé de vouloir monter. Tu t’enfonces alors dans une terre humide, noire comme la nuit, grinçante de cailloux minuscules, remuée par les tendres mouvements de vermines ondulantes. Ici, il fait chaud, il fait noir, et la vie est GROUILLANTE.
Ici c’est l’assurance de ne pas être trop haut, ici tu t’es rapproché du centre brûlant de la terre, tu fais rouler des mots sous ta langue comme « magma », « érosion », mieux encore : « croûte ». C’est certain, la vraie hauteur se trouve ici, en bas, la hauteur côtoie les cloporte et le calcaire. S’ils savaient, là-haut, que tu t’es laissé descendre, c’est sur qu’ils te prendraient pour un fou. Dans ce monde on ne fait que monter, à croire que leur ultime désir est de faire grandir leur cerveau jusqu’à ce qu’il touche le soleil. Pourtant ici, il fait chaud, il fait noir, et la vie est GROUILLANTE. Tu sais à présent que la seule vraie pensée est la pensée des sous-sols, la pensée terreuse et organique de ceux qui se sont laissé choir. Tu sais maintenant que pour t’accomplir il ne faut pas monter.
Il faut toujours descendre.