mardi 3 avril 2018

De l’humilité du marteau




J’ai beaucoup d’admiration pour les outils, pour l’humilité des outils. J’aime le marteau qui enfonce les clous et qui s’en va sans révérence. J’aime l’aiguille à coudre qui remplie sa mission sans attendre d’éloges, elle est pourtant le seul outil capable de coudre, mais elle n’en tire aucune gloire, soyons réalistes : ce n’est qu’une aiguille.

J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui ont l’humilité des outils. Ces gens qui remplissent leur mission avec amour et sans fioritures. Ce qui me touche à la fin d’un concert c’est quand l’artiste se contente de jouer la derniere note et de partir discrètement, un outil au service de la musique. Je n’aime pas lorsqu’on croit qu’on aime l’artiste, alors qu’on aime la musique, et que c’est bien plus grand, bien plus sain. J’aimerai qu’on travaille ensemble à n’être que des clous et des marteaux, et je voudrais que le clou ne se sente jamais en admiration pour le marteau. La seule admiration qui doit être est celle pour la construction finale, qui ne peut pas être une personne.

À la fin d’un concert, sachez que vous n’êtes pas obligez de remercier l’artiste. S’il aime sincèrement ce qu’il fait, il ne comprendra pas ces remerciements. Et ces éloges, parties d’une bonne volonté, participent à la création d’un mensonge, qui dans les siècles à venir pourrait se transformer en pourrissement de l’âme.  Et nous ne voulons pas pourrir.

Arrêtons les métaphores. Aujourd’hui une jeune fille est venu se faire tatouer, elle avait pris l’avion de Montpellier et ne semblait pas voir comme j’étais honorée. Elle avait l’air de penser que son tatouage était ‘une de mes oeuvres’, et elle semblait me donner un pouvoir que pour être honnête je n’ai pas. Elle semblait timidement et joliment penser que c’est moi qui faisait son tatouage, seule, et que je méritais pour ça un respect tout particulier. Je pourrais nourrir ce mensonge et mon ego par la même occasion, mais je sens que ma responsabilité est ailleurs :

Ce que vous admirez, c’est le tatouage. Cet acte irrémédiable et ancestral, cette magie de sorcière, ce rite de passage, cette action que vous faites pour être plus libres. C’est ça qui est admirable, mais le tatouage n’est plus admiré, le tatoueur lui a pris la vedette. Et c’est compréhensible de choisir comme référent un humain plutôt qu’une force, c’est plus simple. Mais ça n’est pas juste. Et surtout ça ne construit rien de bon. Nous ne sommes que les marteaux, et la chose incroyable à admirer n’est pas notre simple manche en bois d’outil ordinaire, ce qui est incroyable : c’est la frappe.

Elle avait l’air de penser que j’avais fais son tatouage toute seule, et si je la laisse penser ça j’efface tout son travail à elle : là prise de décision, le passage à l’acte, l’intention précise qu’elle a pris la peine de formuler. Elle oublie que c’est son tatouage, son bras, son corps, sa décision éternelle. Moi je n’ai fais que le marteau. Et je sais que certains veulent dire que c’est beaucoup, en effet c’est beaucoup : mais sans vous ça n’existe pas.


Je serais heureuse qu’un jour, bientôt, on vienne me trouver parce que je peux rendre un service. Parce que ça n’est rien de plus qu’un service. Ça pourrait l’être, dans le monde de l’art absolu, mais ici nous faisons du tatouage. Et c’est très fort le tatouage, c’est très beau, c’est vieux comme le monde. J’aimerai qu’on vienne me trouver parce que je remplis une fonction, et qu’on oublie le nom , la popularité, le personnage. On peut travailler ensemble pour faire une chose belle, nous voulons juste faire des choses belles.

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