Je cherche depuis peu à retrouver ma haine. Ce sourire enfantin qui dévore mon visage je m’en vais le gratter, le creuser, le gifler pour en voir l’envers ; il m’épuise de béatitude.
Durant de longues années j’ai pensé que ce sourire allait me faire vivre, je réalise aujourd’hui qu’il me fait vivre mou, vivre lisse, vivre sans révolte ni noirceur. C’est donc un mensonge puisque vivre mou ça n’est sûrement pas vivre, mais surtout c’est d’un ennui mortel. Oui, mortel, le mot n’est pas trop fort. Je cherche donc à retrouver ma haine, celle qui va soulever mon âme, celle qui me plongera dans un désespoir constructif, cette grande haine tranchante qui dépose dans le ventre des crépitements vivaces et qui pousse au mouvement. Je ne devrais pas chercher très loin ni creuser bien profond : Elle est ici cette haine, elle fulmine en dessous des chaires, attend impatiemment qu’on lui donne la parole.
Je parle ici d’une haine avec un peu d’intelligence, de la haine fine, distinguée si l’on peut dire. Je veux parler de l’impulsion sauvage qui précède la création vibrante. La petite haine bornée et stupide, elle, court déjà trop les rues.
J’aimerai raturer ce sourire. A quel moment déjà est-ce qu’il s’est étendu sur mon visage ? Serait-il né par pure et simple politesse ? Pitié, pourvu qu’il y ait autre chose, pourvu que mon âme ne soit pas tombé si bas. J’irai, de toutes façons, la repêcher grâce à la haine.
Je me suis essayé à un exercice haineux cet après-midi. Je suis sortie dans la rue et j’ai entrepris d’haïr les passants autours de moi, c’était bien plus simple qu’il n’y parait. J’ai réalisé que cette sensation d’indignation m’avait peut-être déserté depuis l’adolescence, pourtant je retrouvais en elle une force incommensurable, une jeunesse et une insolence indicibles. J’y prenais gout en quelques secondes à peine. J’ai d’abord détesté la masse, grouillante et sans surprise. Puis j’ai détesté le mauvais assemblage de couleurs, de chaussures et de chemises. J’ai haï leurs efforts pour être à ce point normés, leur désir absurde de se ressembler sans se rassembler, c’est ainsi que j’ai mis le doigt sur le mot qui manquait, le mot qui donnerait du sens à ma haine en grande pompes : La norme.
J’en voulais à leurs cheveux d’être peignés, à leurs doigts de s’enlacer mollement, à leurs allure désertée d’urgence et de poésie. La façon qu’ils avaient de se toiser sans se sourire, emmitouflés dans leurs costumes, détachés de leurs entrailles et de leurs instincts à tout prix. L’incroyable se produisit alors : Plus je les haïssais, plus je retrouvais l’urgence d’écrire.
Les mots se précipitaient, crépitaient, flambaient comme du bois sec au creux de mes entrailles. Les talons hauts bons marché en plastique noir me donnaient la nausée et J’étais subitement submergée d’adjectifs. Un groupe d’adolescentes portant le même blouson clinquant me faisait penser au port de l’uniforme militaire, tout dans leur attitude cherchait à plaire, à séduire, à se fondre dans un schéma auxquelles aucune d’elle ne croit réellement, un vrai petit groupe de soldats volontaires. J’ai la tête qui tourne de toute cette haine qui m’envahit alors que les mots galopent par troupeaux entiers d’un côté à l’autre de mon ventre. Je vascille legerement et mon regard se pose sur quelqu’un qui échappe à la norme, déjà de part sa position. Assis contre le mur, courbé dans un vieux survêtement sale et coloré, il y a ce type qui fait la manche distraitement tout en lisant un livre. Une autre chose merveilleuse se produit : Je fonds d’amour instantanément. Ainsi lorsqu’on s’exerce à la haine on produit parfois de l’amour, quelque chose en moi semble satisfait, une vieille croyance qui demandait confirmation. Et je me retrouvais en retrouvant ma haine. J’étais à genoux dans la rue commerciale et des bancs entiers de personnes detestables marchaient autours de moi, autours de lui, dans tous les sens. L’homme assis contre le mur était bien plus solide que moi, rien ne le perturbait : il lisait. Au cœur de la grande mascarade des uniformes et des priorités plastique, ce type avait trouvé l’insolence, le désespoir et l’intelligence de lire un livre. Il semblait calme. De mon côté tout prenait feu, il me semble que je pleurais d’extase sans réellement comprendre, les mots beuglaient entre mes tempes, je me suis relevé et je suis partie avec l’urgence d’écrire et l’urgence d’être ailleurs. Ma théorie de la haine se confirmait ainsi avec une nausée satisfaisante et je rentrais enfin chez moi coucher sur le papier mes hauts-le-cœur, enfin débarrassée de mon sourire d’enfant chassé par la fraîcheur d’un sourire carnassier.
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