lundi 22 octobre 2018

Délier défaire démon





Ils dansent en filigrane, tressés autour du monde sans tout à fait en faire partie, nous avons appris à taire leurs murmures, à voiler leur image. Nous avons très tôt compris la leçon, la sacro-sainte nuance entre réalité et soi-disant fiction. Dans notre Histoire pas de sorcières, pas de magie ni de démons, et s’il t’arrivs d’en voir ou d’en entendre, repousse surtout l’idée d’un geste de la main et planque ces fantaisies dans un coffre scellé, ou de la portée Norme tu seras rejeté. La machine Mère fait comme ces bêtes qui dévorent leur progéniture, mais de la bête nous n’avons ni les crocs  ni la poigne, ni les entrailles ni l’élégance. Peut-être seulement ce regard blanc naïf qu’ont parfois les renards dans les lumières d’un phare juste avant l’uppercut sur une route de campagne.

J’ai vu danser des anges en filigranes, comme quand on voit les choses sans les voir, c’est à dire sans les yeux de la tête avec les yeux du ventre. J’ai vu les masques empilés les uns sur les autres, combien de couches encore avant nos vrais visages ? Lorsque j’étais gamine j’avais l’insolence de parler avec eux, de parler à mon ventre, d’invoquer des sorcières et de rire avec mes démons. Des gamins comme ça il y en avait plusieurs, j’en ai croisé beaucoup mais bien sur on ne se parlait pas, on se parlait plus, on n’osait plus vraiment. On nous a toujours très bien expliqué comment nous taire. On me l’a expliqué mieux que l’Histoire de l’art, mieux que le nom des arbres, mieux que mes privilèges et mon droit de hurler on m’a enseigné comment ne pas dire, ne pas montrer, ne pas sentir. Et nous avons grandis ainsi enroulés dans des noeuds de « ne pas », des tissus de « jamais », étouffés par des cocons chauds de bienséance et de calme plat. 

Comme toute résultante du verbe Faire, les noeuds parmi d’autres choses se défont, et nous allons défaire. Nous avons tout ce temps entrainés nos phalanges, nos doigts sont devenus experts dans l’art de dénouer, et si ça prend du temps, sachez que malgré vous vous nous avez enseigné la patience. Nous avons la patience et nous avons les noeuds. 

Au coeur de ces noeuds, logés minuscules dans le tressage complexe, il y a ces fameuses sorcières que vous refusez tant de voir, il y a des êtres lumineux qui n’ont ni taille ni matière, il y a du temps compressé avec de l’espace, il y a nos âmes grandes ouvertes et nos dédoublements, le foisonnement de nos identités, le sain et le malsain enroulés l’un sur l’autre, il y a des esprits millénaires et cette divinité chronique que vous appelez le hasard, il y a nos sexualités dérangeantes et nos pouvoirs magiques, oui j’ai bien dis magiques, au coeur de ces noeuds c’est le royaume du non-visible du non-touchable, la niche fourmillante de ce qui ne s’achète pas, de ce qui ne se vend pas, de ce qui est partout et tout le temps. Chaque mouvement de phalange, chaque pliure de nos gestes nous rapprochent lentement de leur libération. Nous n’avons plus grand chose depuis le temps des Noeuds, mais nous avons le temps et dans le ventre
Des yeux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire